Le Ferlo, région pastorale est soumise classiquement aux variabilités climatiques. Les éleveurs sont reconnus par leur capacité à s’adapter aux conditions intenables des milieux arides qu’ils exploitent. Ils ne sont pas dépaysés face aux caractéristiques du changement climatique brandi depuis des années. Des stratégies éprouvées sont relatées par la littérature sur la dynamique des socio-écosystèmes.
Par ailleurs, les ressources et les opportunités ne sont pas équitablement distribuées au sein des collectifs familiaux des éleveurs du Ferlo entre les hommes, les femmes et les jeunes. Les enquêtes révèlent que le changement climatique affecte les activités productives des agriculteurs et des éleveurs, mais pour les femmes, catégorie la plus vulnérable, leurs ressources sont davantage affaiblies et leurs stratégies méritent d’être appuyées. Ces stratégies concernent l’investissement dans des troupeaux de petits ruminants, dans le maraichage quand celui-ci est possible et dans le petit commerce dans la proximité des campements.
Des marges de décision femmes classiquement réduites
En milieu pastoral, comme dans la plupart des sociétés rurales africaines, les femmes participent activement aux activités de production agricole en même temps qu’elles assurent des tâches domestiques garantes de la survie des familles. Dans le Ferlo, les femmes restées au campement permanent s’occupent essentiellement de la corvée d’eau entre les campements et le forage sur des distances allant jusqu’à 20km. Une tâche qui occupe les trois quart de leur journée et les prive de temps pour d’autres activités. Celles qui bougent avec la famille en transhumance s’occupent de la construction des maisons lors des escales et dans les sites d’accueil, sont responsables de la préparation des repas et de la vente des produits laitiers sur les marchés pour assurer la nourriture de la famille. Elles assurent en même temps les travaux d’entretien de certains troupeaux de petits ruminants et des animaux les plus faibles. La recherche de bois d’énergie et d’autres tâches non moins importantes les occupent sans qu’elles ne bénéficient en retour d’autonomie nécessaire à la prise en charge de leurs besoins.
En effet, la gestion du capital bétail qui constitue la ressource primordiale dans ce milieu relève des hommes. Alors que le troupeau familial est constitué de parts des différents membres de la famille (le chef de famille, sa ou ses épouses et ses enfants). Dans la société pastorale peule, la femme possède des animaux correspondant à sa dot, à son pré héritage du troupeau de ses parents et des animaux appartenant à ses enfants ; mais, la vente, la décision de partir en transhumance et le choix de complémentation alimentaire sont du ressort des hommes qui « gèrent tout ».
La fragilité des droits féminins de propriété sur le gros bétail, la concentration du troupeau entre les mains du chef de famille et le manque d’autonomie de gestion de leurs animaux affaiblissent les capacités d’adaptation des femmes aux contraintes du milieu.
Quelles stratégies pour plus d’autonomie et participation à la survie des familles?
Pour faire face aux conditions climatiques du Ferlo, les éleveurs s’appuient sur l’agropastoralisme pour reconstituer un capital perdu, la diversification des espèces animales, particulièrement passer des gros aux petits ruminants, la pluriactivité par le développement d’activités de commerce, d’artisanat, d’investissement dans le transport ou des boutiques, du commerce de bétail, et bien entendu la mobilité des animaux (Santoir, 1994 ; Bonfiglioli, 1990 ; Manoli, 2012 ; Ancey, 2009 ; Diao Camara, 2013). Le genre affecte profondément l’opportunité de ces stratégies dans un contexte où les femmes jouent un rôle important dans la mobilisation de ressources pour l’alimentation des familles.
Les petits ruminants à la place des bovins…
L’élevage de petits ruminants a longtemps été considéré comme un moyen de faire face à l’impact des chocs climatiques ou de situations économiques difficiles qui déciment les troupeaux de bovins. Les petits ruminants permettent de reconstituer plus rapidement un troupeau car ils se commercialisent facilement. Les femmes et des jeunes ont trouvé dans l’élevage de petits ruminants le moyen le plus rapide et le plus facile d’avoir une autonomie financière. Cette stratégie semble courante dans la zone, dans tous les campements où les jeunes et les femmes sont propriétaires de ces troupeaux de petits ruminants. L’acquisition de petits ruminants est facile pour un éleveur qui a déjà des bovins, une vache pouvant s’échanger contre plusieurs petits ruminants (le nombre dépend de l’état d’embonpoint de la vache et des prix sur le marché, au moins 4 moutons ou chèvres). En saison sèche, quand les prix du bétail sont bas parce que les ressources pour les animaux sont rares, que les stocks de céréales sont épuisés et que leur prix augmente, les éleveurs vendent beaucoup plus d’animaux qu’en hivernage. Sur les marchés de brousse, le prix d’un petit ruminant est de 15 000 f CFA (environ 22 euros) et celui d’une vache ou un taureau peut aller jusqu’à 100 000 f CFA (150 euros). Les éleveurs qui investissent dans des troupeaux de petits ruminants le font à cette période. En plus d’être une stratégie de reconstitution du troupeau après une crise, ils permettent une meilleure intégration au marché et la facilité de commercialisation de ces animaux permet l’autonomie des cadets sociaux (Ancey et al., 2009).
En revanche, ces petits ruminants sont exigeants vis-à-vis de ce système extensif, ils partent plus tôt en transhumance dans les régions méridionales, ne sont pas robustes face au stress hydrique. Ce qui accroit la dépendance des femmes par rapport aux hommes qui partent avec les animaux en transhumance.
Des interventions de développement devraient davantage accompagner ce type de stratégie, il en existe, celle de Heiffer Yaajeende (1) dans la région facilite cette voie d’autant qu’elle s’adresse aux plus vulnérables. Il s’agit du « passage on the gift » qui est bâti sur le principe de la solidarité par l’élevage de petits ruminants, quelques animaux placés dans des familles vulnérables se reproduisent et les brebis qui en sont issues sont placés dans d’autres familles. Des enquêtes montrent que ces animaux améliorent la nutrition des enfants par le lait et permettent en même temps la constitution d’un capital de survie.
Le maraichage, quand l’eau est à proximité…
Depuis peu de temps, les femmes du Ferlo s’activent dans le maraichage. Difficile d’y croire quand on sait que l’eau est une denrée très rare dans la région. Les enquêtes font apparaitre, l’opportunité de renforcement des capacités d’adaptation des femmes et de contribution à la sécurité alimentaire par cette activité agricole. Quelques femmes de villages (forages de widou) ont initié cela. Les femmes des villages d’alentour manifestent leur intérêt pour ces cultures, qui pour elles changeront leurs habitudes alimentaires. À Tatki où un nouveau système de canalisation draine l’eau jusqu’aux campements les plus éloignés, des femmes se sont ainsi exprimées : « …maintenant, nous ne passons pas toutes nos journées à chercher l’eau pour la maison, les antennes facilitent l’accès à l’eau, nous demandons de l’appui pour clôturer de petits espaces pour y cultiver des légumes et éviter que les animaux n’y rentrent… ». Ce maraichage communautaire participerait à l’alimentation des familles dans cette région où l’activité agricole est marginale et les éleveurs dépendent de marchés de céréales et légumes où en saison sèche les termes de l’échange sont en leur défaveur.
Il ressort que dans un contexte où les femmes ne sont pas maitres de leur patrimoine, les stratégies jugées efficaces pour faire face à la variabilité des ressources ne leurs octroient pas l’autonomie nécessaire à leur épanouissement et par conséquent leur contribution à la sécurité alimentaire devient réduite. Les analyses concluent à la nécessité qu’elles soient davantage accompagnées pour acquérir les ressources économiques, organisationnelles, et politiques, capables de les faire devenir actrices de développement.
Plus largement, les stratégies développées par les éleveurs, hommes et femmes, pour faire face à la forte variabilité climatique, montrent que ces acteurs ne sont pas enfermés dans une activité contemplative comme le pense ceux qui prônent changement de mode d’élevage.
1) Un consortium regroupant des universités et des ong sous le financement de l’USAID et qui intervient dans la lutte contre la vulnérabilité dans beaucoup de zones rurales du Sénégal.
Cette contribution est faite à partir d’observations dans le Ferlo dans le cadre du programme FoodAfrica. Elle est aussi alimentée par des travaux antérieurs sur le même terrain (Ancey, 2009 ; Diao Camara, 2003 et 2013 ; Manoli, 2012).
Texte par Astou Diao Camara (Sociologue au Bureau d’analyses macro-économiques de l’ISRA, Senegal) et
Aminata Ndour Dia (Doctorante en géographie au Bureau d’analyses macro-économiques de l’ISRA, Senegal)